Vision stratégique « strategic vision » Zbigniew Brzezinski

géopolitique, Sciences humaines

Au début des années 1990, alors que certains spécialistes soutenaient que la fin de la guerre froide et l’implosion de l’Union soviétique signifiaient l’avènement d’une nouvelle ère dans laquelle la démocratie libérale triompherait sur la planète, Brzezinski mettait en garde contre les forces de les bouleversements qui grondent dans le monde en développement et les faiblesses de l’Occident qui pourraient saper son influence mondiale.

Il analyse les développements politiques actuels et montre comment l’Amérique peut « mieux » équilibrer le pouvoir dans divers régions, bien qu’il semble trop ambitieux de tenter de couvrir autant de terrain dans un court ouvrage.

Brzezinski a soutenu que l’accélération de la communication rendue possible par la technologie a distingué l’histoire contemporaine du passé, que la Chine était plus susceptible que la Russie d’assumer un rôle de leadership sur la scène internationale et que l’accent mis par l’Amérique sur la richesse matérielle, sur la consommation et sur l’autocongratulation exacerbée d’une société en déclin social et économique pourrait mettre en danger sa prééminence en tant que puissance mondiale.

Dans son dernier essai publié en 2012, il examine l’état actuel des affaires mondiales. Il fournit une évaluation lucide et froide de ce moment de bascule, où le centre de gravité du monde se déplace « de l’Ouest vers l’Est« .

Cette situation s’est produite, dit-il, en raison des problèmes économiques et politiques de l’Amérique au niveau national (y compris une dette nationale croissante, une crise économique et sociale, une éducation publique défaillante et un processus politique bloqué par « les gueguerres » partisanes, des décisions de politique étrangère erronées (notamment la détermination de George W. Bush à mener une guerre stupide et coûteuse en Irak qui de facto a contribué à discréditer et à accroître la méfiance des pays du Moyen-Orient envers les Etats-Unis.) Conduisant la montée exponentielle des rivaux potentiels. Depuis le 11 septembre, il est évident que l’Empire américain vit sur un fil rouge. Ces dernières années, l’inévitable effondrement de l’hégémonie mondiale américaine et du monde unipolaire ne peuvent être ignorés. En proie au chômage massif, à une crise environnementale, à une armée jusqu’alors surchargée et déployée aux quatre coins du monde, à des infrastructures défaillantes, à la menace omniprésente pour le dollar américain (la coopération sino-russe et la bipolarisation n’arrangeant pas les choses) et des crises sociales toujours plus violentes dans une société fragmentée idéologiquement. Aujourd’hui, le concept de primauté américaine à long terme n’est qu’un fantasme entretenu par les médias mainstream. Heureusement des spécialistes sont bien conscients que les USA en tant qu’Empire suivent la voie de tous les empires qui les ont précédés. Il ne fait aucun doute que les États-Unis vont bientôt s’essouffler dans leur marché à travers le monde alors qu’une politique économique (mondialiste) continue d’être dictée depuis Wall Street, entrainant dans sa chute les banques Européennes. Car n’oublions pas que depuis la fin de la deuxièmement guerre mondiale, l’Europe est sous protectorat américain. « L’Europe occidentale est devenue presque formellement le protectorat de l’Amérique et informellement sa dépendance économique ». Ce constat pose le problème de la souveraineté de chaque nation européenne et l’intérêt de la nation et de son peuple. (À méditer).

Au regard de ces faits, Brzezinski s’attelle à situer les relations de l’Amérique avec les autres pays dans un contexte géopolitique et historique. Et il utilise son expertise dans ces domaines pour dresser un portrait pragmatique de ce à quoi le monde pourrait ressembler sans les États-Unis.

Dans les années 1990, les États-Unis étaient devenus la « première superpuissance véritablement mondiale » ; depuis lors, dit-il, il y a eu une dispersion mondiale du pouvoir, avec une Union européenne affaiblie -, ainsi que la Russie, la Chine, l’Inde et le Japon, tous en train de manœuvrer pour se positionner sans oublier le Mexique qui selon l’auteur, sans l’appuie des américains deviendrait plus faible et moins stable (économiquement moins viable et plus anti-américains…) . Cette dispersion du pouvoir, poursuit-il, est amplifiée par « l’émergence d’un phénomène volatil : le réveil politique mondial des populations jusqu’à récemment politiquement passives ou réprimées ». Il ajoute : « Survenu récemment en Europe centrale et orientale et dernièrement dans le monde Arabe, ce réveil est le produit cumulatif d’un monde interactif et interdépendant connecté par des communications visuelles instantanées et de l’explosion démographique de la jeunesse dans les sociétés les moins avancées composées de personnes mobilisées et politiquement agitées. »

« Malheureusement pour l’Occident, l’élargissement de la Communauté Economique Européenne de l’après-guerre froide en une union européenne plus large n’a pas produit une véritable union mais une appellation erronée… cette dernière étant unie par une monnaie partiellement commune mais sans autorité politique centrale…Grâce à ses liens culturelles, idéologiques et économiques avec l’Amérique et plus concrètement grâce à l’OTAN, l’Europe reste un partenaire géopolitique de second rang pour les Etats unis » (ça c’est dit.)

Bien qu’elle ne soit plus hégémonique, l’Amérique reste essentielle, selon lui, pour promouvoir « un Occident plus grand et plus vital » (englobant « peut-être de différentes manières, à la fois la Turquie et une Russie en cours de démocratisation« ) tout en jouant « le rôle d’équilibreur et de conciliateur » en Asie. Là, il devrait engager la Chine « dans un dialogue sérieux sur la stabilité régionale » pour réduire la possibilité non seulement de conflits américano-chinois, mais aussi d’erreurs de calcul entre la Chine et le Japon, ou la Chine et l’Inde, ou la Chine et la Russie.

Brzezinski tente d’explorer les conséquences qu’un glissement constant de l’Amérique vers l’impuissance et l’inutilité pourrait avoir sur le reste du monde. Un tel développement, affirme-t-il, n’entraînerait probablement pas le  » couronnement d’un successeur mondial efficace » comme la Chine, mais conduirait probablement à une « phase prolongée de réalignements plutôt peu concluants et quelque peu chaotiques de la puissance mondiale et régionale, avec pas de grands gagnants et beaucoup plus de perdants« .

Il tente d’inclure des données socio-économiques dans son analyse. Il fournit des comparaisons approfondies entre les grands États et les régions sur un large éventail de critères, de la croissance du PIB au niveau d’enseignement supérieur en passant par les taux de mortalité, essayant de montrer à quel point le développement de ces pays peut être durable. Il essaie également de rechercher les raisons du déclin socio-économique aux États-Unis, tels que la dette publique croissante, le capitalisme irresponsable et l’instabilité macroéconomique; un retard infrastructurel par rapport à l’Europe, au Japon et même à la Chine ; et, enfin, un mauvais état de l’enseignement secondaire public, qui, selon les estimations qu’il fournit, peut être classé, en termes de qualité, au bas de la liste des pays développés. L’auteur prétend montrer que ce sont surtout des problèmes internes qui poussent les États-Unis vers leur déclin. Cependant dans ce livre, il manque des discussions de fond sur la manière dont les États-Unis pourraient surmonter « ses défis intérieurs et réorienter leur politique étrangère à la dérive » et sur la manière dont la crise actuelle de la dette européenne pourrait affecter les États-Unis et la croissance de l’Occident. Tout en fournissant de nombreuses idées, l’auteur laisse en fait la plupart d’entre elles simplement mentionnées et non explorées.

Dans une interview donnée au Financial Times, Brzezinski dira « Les Américains n’apprennent rien sur le monde, ils n’étudient pas l’histoire du monde, autre que l’histoire américaine d’une manière très unilatérale, et ils n’étudient pas la géographie« . L’une des vulnérabilités de l’Amérique est « l’endettement croissant », d’un « système financier défectueux », de « l’infrastructure nationale en décomposition », de « l’inégalité croissante des revenus » et de « politique de plus en plus bloquée ». Il oppose le niveau de connaissance des décideurs chinois à celui de leurs homologues américains. S’étant lié d’amitié avec Deng Xiaoping, l’ancien dirigeant chinois, qui a sorti le pays de sa longue et sombre nuit maoïste, Brzezinski est un admirateur des talents diplomatiques de la Chine même si il dira que « le fossé idéologique et les différences de systèmes politique et social sont trop grandes pour un tel rapprochement qui suppose une connivence idéologique ». Il est cependant difficile de savoir si entre 2012 et 2014, Brzezinki aurait pu prévoir le rapprochement Chine – Russie, en revanche en 2014, il dira qu’il faut « convaincre Vladimir Poutine que les Etats-Unis utiliseront « toute leur influence » pour convaincre l’Ukraine d’adopter le modèle finlandais, avec un statut de neutralité sur le plan stratégique, hors de toutes alliances militaires, mais des relations économiques étroites à la fois avec la Russie et l’Europe. » Il appelle les Etats-Unis et l’Europe à user de leur influence pour pousser l’Ukraine à adopter « le modèle finlandais« , pour définir sa place entre l’Europe et la Russie. Ce qui comme nous le savons n’a pas été fait.

« Vision stratégique : l’Amérique et la crise du pouvoir mondial » est une lecture incontournable pour quiconque s’intéresse à la géopolitique. Le livre offre une analyse d’un « Ouest en recul » avec une Europe, se transformant en une « maison de retraite confortable« , et de l’autre coté, les États-Unis, en proie à un déclin économique relatif et à une politique dysfonctionnelle. Dans ce nouveau monde, où les cartes sont constamment redistribuées dont la perte d’influence et « l’isolement stratégique » de l’Amérique n’a d’égal que la « patience stratégique » de la Chine face à un défi susceptible de mettre à rude épreuve les projets des américains.

« Vision stratégique, l’Amérique et la crise du pouvoir mondial » de Zbigniew Brzezinski – éditions Le retour aux sources.

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« Le grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski

géopolitique, Sciences humaines

Brzezinski a dédié ce livre à ses étudiants « Pour mes étudiants afin de les aider à donner forme au monde de demain »

Par conséquent, tous les étudiants en politique et en relations internationales bénéficieront de la lecture de ce livre. C’est également une ligne directrice valable pour les politologues et les diplomates qui souhaitent acquérir une connaissance approfondie de la politique étrangère américaine et de la justification des stratégies changeantes pour rester en tête et au-dessus de la géopolitique mondiale.

Zbigniew Brzezinski, de 1977 à 1981 a été le conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter et pendant des années l’un des penseurs les plus pertinents en matière d’affaires étrangères, en particulier celles qui traitent du bloc soviétique. À cette époque là, ce qui a heurté Brzezinski, c’est qu’à la suite de l’effondrement soviétique, les États-Unis, leader mondial incontesté et incontestable n’avaient tout bonnement pas pas compris que la démocratie américaine se prêtait mal à la gestion des empires. Cette ignorance a frustré Brzezinski, qui a fourni un autre plan scientifique. Une sorte de mode d’emploi pour promouvoir les intérêts américains, maintenir l’hégémonie qui permettrait d’empêcher l’anarchie mondiale. Pour lui, il s’agit d’un jeu stratégique, un peu comme aux échecs, pour déjouer les rivaux potentiels, d’où le titre du livre : « Le grand échiquier ».

Depuis la fin de la guerre froide et l’effondrement du communisme, les États-Unis se sont sentis victorieux,et après plusieurs décennies, les affaires étrangères n’ont plus occupé la première place à Washington. Le président Clinton a d’ailleurs porté moins d’attention aux affaires étrangères et tous les signes semblent indiquer que le peuple américain, ayant gagné la guerre froide, se consacre davantage aux problèmes nationaux et locaux.

Par ailleurs, de nombreux membres de l’establishment soulignent une inquiétude croissante vis à vis de la politique étrangère : « Réveillez-vous, Amérique, avant qu’il ne soit trop tard. »

Brzezinski commence par un examen rapide de chaque empire de l’histoire en mettant en avant plusieurs type de stratégie que les États-Unis doivent adopter pour être une puissance différente en mettant en exergue les idées de la légion romaine et des empereurs mongols en Chine et comment ils ont adopté différentes stratégies pour devenir une superpuissance mondiale.

« Ces trois empires – romain, chinois, mongol – ont été les précurseurs régionaux de tous les aspirants à la domination mondiale. Rome et la Chine, comme nous l’avons déjà souligné, présentent des caractéristiques similaires, notamment, d’ une part, des structures économiques et politiques très sophistiquées et, d’autre pan, une reconnaissance, largement admise, de la supériorité culturelle du centre, assurant cohésion et légitimité. Le contrôle politique dans l’empire mongol, au contraire, repose sur la conquête militaire suivie d’une phase d’adaptation – et même d’assimilation – aux réalités locales. »

Cette première partie évoque comment mettre en avant le développement des États-Unis en tant que superpuissance mondiale. Elle peut être considéré comme la préface à la compréhension de la politique étrangère américaine avec des références concernant la doctrine Monroe et l’idée que cette doctrine est le dissolvant du sentiment isolationniste américain qui existait avant cette ère.

« Les enjeux géopolitiques n’auraient pu être plus clairement définis: l’Amérique du Nord contre l’Eurasie, avec le monde comme enjeu. Le vainqueur dominerait le monde. Dans ce bras de fer, aucun adversaire de second ordre n’a les moyens de s’interposer. Une fois acquise. la victoire serait totale. »

Il soutient ensuite que l’Eurasie est l’échiquier sur lequel la lutte pour la primauté mondiale continue de se jouer. Il fait de l’Eurasie le terrain de jeu sur lequel le destin du monde est déterminé et analyse les possibilités en Europe, l’ex-Union soviétique, les Balkans (interprétés au sens large) et l’Extrême-Orient. Comme un grand maître aux échecs, il trace sa stratégie avec plusieurs coups d’avance, envisageant un développement en trois étapes.

– Le pluralisme géopolitique doit d’abord être promu pour désamorcer les défis à l’Amérique,

– Des partenaires internationaux compatibles(effort démocratique) doivent être développés pour encourager la coopération sous leadership américain avec bien évidemment l’expansion de l’OTAN vers l’Est

– Le partage effectif de la responsabilité politique internationale.

Grosso modo, les pôles jumeaux de cette stratégie sont une Europe unie à l’Ouest et une Chine à l’Est.

Il faut toutefois comprendre que cet essai regarde l’Eurasie à travers la lentille américaine, c’est donc une approche unilatérale. Cependant, il a prédit l’émergence économique de la Chine. Il reflète également le modèle et les changements historiques de manière très compartimentée en catégorisant chaque partie de la région en pièces comme un échiquier. Bien que le livre puisse être considéré comme un canon important pour examiner les affaires mondiales et la géopolitique, il ne parvient pas à résoudre un certain nombre de problèmes. Il ne définit pas non plus l’idée d’un pivot géopolitique et n’est pas très clair sur la manière dont la Russie et la Chine peuvent constituer une menace pour la politique étrangère américaine. De plus, il regarde le monde du point de vue uniquement pragmatique, qui considère la conquête et la domination économique comme une force hégémonique. Et bien qu’il semble trop ambitieux de tenter de couvrir autant de terrain dans un court ouvrage, Brzezinski l’a fait.

« Il est important que les États-Unis affichent clairement leurs objectifs en matière internationale. S’il fallait choisir entre l’élargissement du système euro-atlantique et l’amélioration des relations avec la Russie, il va sans dire que l’Amérique favoriserait le premier. »

Brzezinski rend la géopolitique plus facile et abordable en décomposant les causes et les conséquences de chaque objectif stratégique potentiel des Etats-Unis et d’autres grands pays. Il faut toutefois comprendre que Brzezinski a une vision américaniste de la géopolitique.


« Le grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski » aux éditions Fayard/Pluriel

« Chez soi » de Mona Chollet.

Sciences humaines, sociologie

« J’appartiens donc à cette espèce discrète, un rien honteuse : les casaniers, habitués à susciter autour d’eux la perplexité, voire la pitié ou l’agressivité, et qui avec le temps, apprennent à s’accommoder stoïquement des sarcasmes de leurs proches. »


Pour certaines personnes, il peut être difficile d’être casanier.e. En plus de ne pas vous sentir à l’aise lorsque vous sortez, vous devez aussi résister à la pression de vos amis qui vous invitent à sortir en permanence. Ainsi, les personnes casanières se sentent souvent honteuses ou ont l’impression qu’elles ont un problème.

Dans cet essai, Mona Chollet a décidé de revaloriser l’espace domestique, c’est en quelques sorte « une ode à l’entre-soi ou au quant-à soi ». Une lecture qui décomplexe sur le fait d’être casanier.e et de s’en satisfaire.

Aimer rester chez soi c’est s’affranchir du regard des autres, cependant cette façon de s’esquiver du contrôle social suscite chez beaucoup de gens même «ouvert d’esprit » une inquiétude obscure qui s’accompagne de réflexions malvenues.

Elle prend l’exemple du lecteur a qui l’on rétorque « arrête de lire! Sors et vis! » Un certains mépris qui nous a valu d’être catégorisé comme « des rats de bibliothèque ». Un fond irréductible d’intolérance et d’anti-intellectualisme .

Notre intérieur est notre refuge. Il contient tous nos biens et nos souvenirs. C’est un espace personnalisé dans lequel on se repose, on se nourrit et on s’aime. Qu’il soit petit ou grand, notre intérieur est à notre image. Pour toutes ces raisons, notre logement est notre point de repère dans notre quotidien et dans nos vies, et certaines personnes ont besoin de cette stabilité au quotidien.

Et dans la vision où nous sommes enfermés, Notre maison doit nous protéger, nous dissimuler, nous assurer du bien-être et nous offrir un minimum de surface sociale qui permet une forme d’expression, cependant ce n’est pas le cas pour grand nombre de Français qui compte 200 000 de sans-abri (2019).

En France, on considère le temps comme une chose inerte, et préjudiciable, il faut qu’il soit rempli, occupé ou utilisé. Et c’est totalement l’incompréhension à laquelle se heurte les casanier.e.s. Nous vivons donc dans une société qui favorise la mentalité utilitariste dont le temps doit être rentabilisé, cela donne naissance à une sorte d’obsession de l’utilité systématique. L’obsession de la rentabilité, le repli sur soi, l’amertume, dominent majoritairement les relations sociales.

En fait, ce qui pourrait permettre de mieux vivre et donc de se libérer de ces injonctions extérieures ce heurte aux intérêts de ce qui tirent profit du système actuel.

Elle aborde aussi le fait que Les femmes subissent une stigmatisation particulière. Selon laquelle une femme seule est « incomplète et inachevée », de plus dans notre société patriarcale, les taches ménagères sont souvent associées aux femmes au foyer, une sorte de « culture du ménage » qui est transmise de mère en fille… Connaissant les écrits de Mona Chollet, il était évident qu’elle étudie l’espace domestique sous son angle féministe.

Dans ce livre on retrouve une exploration de toutes les dimensions de notre relation à notre habitat, selon le plan que voici :

La mauvaise réputation : « Sors donc un peu de cette chambre ! »

Une foule dans mon salon : de l’inanité des portes à l’ère d’internet

La grande expulsion : pour habiter, il faut de l’espace

A la recherche des heures célestes : pour habiter, il faut du temps

Métamorphoses de la boniche : la patate chaude du ménage

L’hypnose du bonheur familial : habiter, mais avec qui ?

Des palais plein la tête : imaginer la maison idéale

Encore un essai extrêmement bien documenté et sourcé qui étudie avec justesse des sujets engagés et universels. Mona Chollet, une valeur sure.


« Chez soi » de Mona Chollet – éditions Zones.

« Le choc amoureux » de Francesco Alberoni.

Sciences humaines, sociologie

Le choc amoureux du sociologue Francesco Alberoni est un essai qui vous fait réfléchir. Une lecture intelligente et cultivée.

Il apporte des expériences, des pistes de réflexions sur les mécanismes de l’état amoureux en posant l’hypothèse audacieuse qu’il s’agit d’une révolution collective à deux.

On sait que la sociologie est parfois faite d’hypothèses plus ou moins bizarres. Sur ce coup-ci, on planche sur la question suivante.

« Qu’est-ce que tomber amoureux? C’est l’état naissant d’un mouvement collectif à deux. » Tomber amoureux- comme tous les mouvements collectifs, se joue dans le registre de l’extraordinaire « L’ordinaire lui s’apparente à la faim et à la soif, une relation uniforme et qui dure dans le temps de façon linéaire. »

Eh bien oui: tomber amoureux est assimilé à un mouvement révolutionnaire. Paraphrasant un passage de Durkheim présent dans le premier chapitre du livre, dans un mouvement collectif, l’homme s’abandonne au joug des forces extérieures qui l’amènent à épouser pleinement une cause, désintéressée de lui-même.


« L’eros est une forme révolutionnaire même si elle se limite à deux personnes. »


Le livre examine non seulement les raisons de l’association dans le mouvement amoureux-collectif, mais rapporte également une représentation précise de l’amour, avec de nombreuses références à l’expérience concrète d’un couple. En fait, la transformation de tomber amoureux se reconstruit, c’est-à-dire le passage de l’émotion irrépressible des premiers mois à l’institution (la consolidation du couple) à travers un projet partagé, mais aussi les renoncements qui sont faits pour continuer même lorsque qu’une relation s’est dégradée . Et une fois n’est pas coutume, nous parlons bien entendu de passion, de jalousie … et tout ce qui peut venir à l’esprit sur le sujet.

L’aspect que je trouve le plus intéressant est la certitude avec laquelle Alberoni affirme ses vérités. Cette façon de traiter les sujets rend l’introspection plus convaincante ou douloureuse. Parfois, vous sentez que vous soutenez pleinement sa thèse, d’autres fois, vous souhaitez le contredire, dans d’autres situations, vous interprétez, effectuez, recherchez ou simplement endurez.

L’idée la plus audacieuse se révèle peut-être dans le rétablissement d’une vision romantique de l’amour, qui ne peut se matérialiser sans un amour ivre à la base. Un amour tout sauf utilitaire et fonctionnel, et en synthèse extrême qui ne vise pas d’abord à une volonté de fonder une famille. (Ce qui est une vision très manichéenne de l’amour à mon sens).L’amour devient une intuition dangereuse qui s’affirme comme une sorte de révolution sociale.

Alberoni nie la chute de l’amour décrite comme « une sorte de folie » (Erich Fromm) ou « un état d’imbécillité temporaire » (Ortega y Gasset), qui soutient la composante émotionnelle, mais la dépouillant de tout sens péjoratif.

L’explosion de sentiments et de passion se déroule en présence d’un obstacle, avec des références littéraires qui suscitent une grande fascination: Roméo et Juliette, séparés des familles dans un conflit amer, ou le très malchanceux Werther del Goethe, submergé par un amour impossible. Les obstacles se trouvent souvent dans le caractère et les différences expérientielles.

En conclusion, la chute de l’amour du grand professeur Alberoni allie érudition et « romantisme », dans une lecture convaincante et stimulante.


« Le choc amoureux de Francesco Alberoni – Éditions Pocket.