« La révolte des élites et la trahison de la démocratie » de Christopher Lasch

Sciences humaines, Sociologie

Christopher Lasch était l’une des rares personnalités de la vie publique américaine à être respectée par les gens de gauche comme de droite, parmi les universitaires comme les gens ordinaires, dans les cercles intellectuels comme parmi ceux qui n’ont aucune patience pour les idées abstraites. La révolte des élites et la trahison de la démocratie , un essai publié après sa mort en 1994. Christopher Lasch se montre pertinent, perspicace et sans compromis.

Le titre du livre est un rappel de « La révolte des masses » de Jose Ortega y Gasset., un ouvrage puissant publié en 1930 qui attribuait la crise de la culture occidentale à la « domination politique des masses« . Ortega croyait que la montée des masses menaçait la démocratie en sapant les idéaux de vertu civique qui caractérisaient les anciennes élites dirigeantes. Mais dans l’Amérique de la fin du XXe siècle, ce ne sont pas tant les masses qu’une élite émergente de types professionnels et managériaux qui constituent la plus grande menace pour la démocratie, selon Lasch.

« Aujourd’hui, ce sont toutefois les élites – ceux qui contrôlent les flux internationaux d’argent et d’informations qui président aux fondations philanthropiques et aux institutions d’enseignement supérieur, gèrent les instruments de la production culturelle et fixent ainsi les termes du débat public – qui ont perdu la foi dans les valeurs de l’Occident, ou ce qu’il en reste. »

La nouvelle élite est composée de ce que Robert Reich appelait les « analystes symboliques » – avocats, universitaires, journalistes, analystes de systèmes, courtiers, banquiers, etc. Ces professionnels font le trafic d’informations et manipulent des mots et des chiffres pour gagner leur vie. Ils vivent dans un monde abstrait dans lequel l’information et l’expertise sont les biens les plus précieux. Le marché de ces actifs étant international, la classe privilégiée est plus concernée par le système mondial que par les communautés régionales, nationales ou locales. En fait, les membres de la nouvelle élite ont tendance à s’éloigner de leurs communautés et de leurs concitoyens. Avec l’hypocrisie qui s’y rattache, professant toujours plus d’égalitarisme mais en se gardant bien d’envoyer leurs enfants dans des écoles publics, loin du citoyen prolétaire.

« Les classes sociales se parlent à elles -mêmes, dans un dialecte qui est propre à chacune, et inaccessible à ceux qui n’en font pas partie; Elle ne se mélange qu’en des occasions solennelles, dans les fêtes officielles. »

La soi-disant « méritocratie » a fait de l’avancement professionnel et de la liberté de gagner de l’argent « l’objectif primordial de la politique sociale ». Lasch accuse la fixation sur l’opportunité et la « démocratisation de la compétence » de trahir plutôt qu’illustrer le rêve américain. « Le règne de l’expertise spécialisée ».

L’auteur évoque également le déclin du discours démocratique qui s’est produit en grande partie aux mains des élites, ou « classes parlantes« , comme Lasch les appelle. Un débat intelligent sur des préoccupations communes a été presque entièrement supplanté par des querelles idéologiques, des dogmes aigres et des injures qui « favorisent la conversation générale entre les classes », les classes sociales « se parlent de plus en plus dans un dialecte qui leur est propre, inaccessible aux autres.« 

« Le débat politique a commencé à décliner vers le début du siècle, ce qui correspond, assez bizarrement à une époque où la presse devenait plus responsable, plus professionnel, plus consciente de ses obligations civiques. »

Lasch fini par examiner ce qu’il considère comme une crise spirituelle au cœur de la culture occidentale. « Cette crise est le produit d’un attachement excessif à la vision du monde laïque« , soutient-il, qui a laissé peu de place au doute et à l’insécurité à l’élite du savoir. Traditionnellement, la religion institutionnelle offrait un foyer aux incertitudes spirituelles ainsi qu’une source de sens supérieur et un dépositaire de sagesse morale pratique. Les nouvelles élites, cependant, dans leur étreinte de la science et de la laïcité, regardent la religion avec un dédain à la limite de l’hostilité. « La culture de la critique est censée exclure les engagements religieux », observe Lasch. Aujourd’hui, la religion est vu comme « quelque chose d’utile pour les mariages et les funérailles mais autrement dispensable ». Privé d’une éthique supérieure, les classes du savoir se sont réfugiées dans une culture du cynisme, s’inoculant à l’irrévérence. « L’effondrement de la religion ».

« Ces gens-là là ont du mal à reconnaître que cette puissance supérieure est juste et bonne quand le monde et si évidemment habité par le mal. »


« La révolte des élites et la trahison de la démocratie » de Christopher Lasch – éditions Flammarion, collection Champ essais.

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