« L’enseignement de l’ignorance » de Jean-Claude Michéa

philosophie, Sciences humaines

Dans un monde en déclin, tout commence avec l’école: niveau des élèves en chute libre, manque de considération envers le corps professoral, réformes successives… En renonçant à l’éducation, nous renonçons à l’avenir d’un pays. Tel est le constat que partage Jean-Claude Michéa, ancien professeur agrégé en philosophie qui choisira d’enseigner à des élèves de « banlieue » refusant le conformisme des « nouveaux mandarins » de l’intelligentsia libérale.

La pensée critique est la capacité à mobiliser la raison dans une activité réflexive. Dans un monde en constante évolution, où nous sommes constamment assaillis d’informations, elle permet de prendre le temps d’analyser de façon objective les situations données. Pour cela faut-il déjà être doté d’une culture minimal à commencer par la capacité d’argumenter et maîtriser des exigences linguistiques élémentaires. Vous l’aurez compris, il n’est pas simple d’avoir un esprit critique dans une société qui manipule « le novlangue » à la perfection dont « le but est l’anéantissement de la pensée, la destruction de l’individu devenu anonyme… »

« Par progrès de l’ignorance, La disparition de connaissances indispensables au sens où elle est habituellement déplorée (et souvent à juste titre) que le déclin régulier de l’intelligence critique c’est-à-dire de cette aptitude fondamentale de l’homme à comprendre à la fois dans quel monde il est amené à vivre et à partir de quelles conditions la révolte contre ce monde est une nécessité morale. »

Selon Michéa, « L’enseignement de l’ignorance » n’est pas sans lien avec l’économie libérale, une autorité suffisamment influente et puissante pour briser tous les obstacles qui s’opposent à la loi du marché (tradition, religion, le droit à la coutume, famille …) dans le but de créer « un individu entièrement rationnel égoïste et calculateur » en l’éloignant de son « appartenance ou enracinement »

Ce qui veut dire que l’école actuelle soumet la jeunesse aux contraintes de l’ordre mondial « celle du capitalisme, de l’universalité marchande, ex: le combat de l’école contre « le patois », suppression du grec et du latin, la diminution des heures de philo… Le but de l’école d’aujourd’hui n’est plus de transmettre un savoir, des vertus morales… indépendamment de l’ordre capitaliste, l’école sert dorénavant à former un individu productif et rentable pour le marché du travail.

« L’école n’est déjà rien d’autre qu’un outil au service de la reproduction du capital. »

L’auteur pense aussi que Mai 68 a été décisif , car il a « eu pour effet de délégitimer d’un seul coup et en bloc, les multiples figures de la société précapitaliste ». L’insurrection étudiante n’a été profitable qu’au capital, le changement de paradigme laisse place à la propagande de la publicité et de la consommation, l’école moderne est donc devenue la fabrique de l’inculture favorisant toujours plus le libéralisme économique dans une société où il est dorénavant interdit d’interdire.

« La révolution anticapitaliste a été conviée à se défaire de son encombrant passé en acceptant pieusement de se soumettre au commandement le plus sacré des Tables de la Loi moderne « il est interdit d’interdire… » C’est dans ces conditions radicalement nouvelles et sur les bases de la métaphysique du désir et du bonheur que la consommation puis donc devenir un mode de vie à part entière – la course obsessionnelle et pathétique à la jouissance toujours différée de l’objet manquant. »

Malheureusement tous ceux qui courageusement pointent du doigt la métaphysique du progrès sont accusés de réactionnaires. Parce qu’il est de bon ton pour l’économiste de discréditer toute personne s’opposant au dogme du « mouvement modernisateur » de l’économie. Et pourtant la dimension conservatrice nous aide à garder un esprit critique qui « n’a pas peur des mots ».

Rangez vos livres, ne soyez ni fiers , ni pertinents et encore moins spirituels, vous paraîtrez trop prétentieux dans un monde où la médiocrité a pris le pouvoir. Encore une fois, la common decency est de rigueur pour garder la tête hors de l’eau.


« L’enseignement de l’ignorance » de Jean-Claude Michéa – Éditions Climats

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5 réflexions sur “« L’enseignement de l’ignorance » de Jean-Claude Michéa

  1. Je suis très intéressé par ce thème, cette sciences puisque j’ai découvert que cela se nommait l’agnotologie dans le livre « Biodiversité, un nouveau récit à écrire » de Jacques Blondel. Voir éventuellement ma chronique sur le lien
    https://clesbibliofeel.blog/2021/03/10/jacques-blondel-biodiversite-un-nouveau-recit-a-ecrire/
    avec un documentaire passionnant sur Arte
    https://peertube.dc.pini.fr/videos/watch/189464c7-a02b-4667-a6d3-186d3a837611
    Je note ce titre. Merci !

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  2. ha super tu as repris le blog, ça fait plaisir de te lire! d’autant plus avec ce livre dont tu m’avais parlé et qui m’avait vraiment donné envie. Quand j’ai passé le capes pour devenir prof d’histoire géo, j’ai été écoeurée de voir la propagande qu’on nous imposait en éducation civique… c’est en partie pour ça que j’ai changé de voie, je n’avais pas envie de contribuer à cette mascarade. C’est quand même bien malheureux d’avoir été le pays des lumières, d’avoir fait la révolution, mai 68… pour en arriver là.

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    1. Au départ toutes les révoltes partaient d’un bon sentiment mais à chaque fois les élites bourgeoises s’accapareraient les luttes du petit peuple. Mai 68 a été confisqué par les bobo bourgeois du 16e en manque de sensations fortes, résultat : idéologie capitaliste et libérale, c’est la génération Matzneff, ravie de vivre dans une société où il est interdit d’interdire. Tout le contraire des revendications ouvrières à la base, relèvement de 35% du SMIC. Quand certains se battent pour survivre, d’autres se servent de la situation pour normaliser la pedophilie et le marché capitaliste. C’est le gros problème français. On fait des révoltes mais pour les bourgeois. Je te comprends tout à fait, il y a une véritable idéologie dans les écoles. Oui je reprends tout doucement.

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      1. très bien résumé, c’est révoltant et insupportable. Puis ils essayent à tout prix de casser le peu de revendication que nous avons remportés, c’est épuisant de devoir se battre continuellement avec cette impression que tout se renouvelle perpétuellement, en partie à cause de ceux qui ont la mémoire courte, ceux qui se laissent manipuler et abêtir, mais aussi de l’égoisme de beaucoup qui ne chercheront continuellement qu’à priorisé leurs avantages au lieu de penser au bien commun… mais il ne faut pas lâcher, pour nous, pour ceux qui se sont battus avant nous, mais aussi pour les prochains…

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