« Un rire de jouissance souleva le bonheur des dames. Le chiffre courait. C’était le plus gros chiffre qu’une maison de nouveautés eût encore jamais atteint en un jour. »
Ce roman prophétique est une excellente fresque du commerce débridé et du consumérisme, « au bonheur des dames »raconte les transformations frénétiques qui ont fait du Paris de la fin du XIXe siècle la capitale mondiale de la mode. Cette histoire aurait été inspirée par l’aménagement des Grands Magasins du Louvre sur la Place du Palais-Royal à cette époque.
En toile de fond, Zola brosse un tableau vivant de la façon dont les affaires d’un grand magasin de luxe sont gérées quotidiennement dans le Paris du milieu des années 1800 et comment le plan d’expansion est mis en œuvre en tandem avec le développement ambitieux d’infrastructures massives de la ville.
Cependant, sous cet aspect glamour, il y a un fort courant qui pleure la disparition inévitable des petits propriétaires dont les commerces sont voués à disparaître. L’histoire donne également un aperçu réaliste de la vie de vendeur dans les grands magasins.
Le héros capitaliste du roman, Octave Mouret, crée un grand magasin géant qui dévore les boutiques poussiéreuses et démodées autour de lui. Ce génie des affaires qui transforme une modeste boutique de draperie en une entreprise de vente au détail extrêmement prospère, exploitant magistralement les désirs de ses clientes et ruinant les petits concurrents en cours de route. Parallèlement à l’histoire du triomphe commercial, c’est l’histoire d’amour entre Mouret et l’innocente Denise Baudu, qui vient travailler au bonheur des Dames. Elle assure le lien crucial entre Mouret et les trois groupes sociaux essentiels du roman : la clientèle féminine, les vendeurs du grand magasin et les commerçants du quartier.
« On commençait à sortir, le saccage des étoffes jonchait les comptoirs, l’or sonnait dans les caisses ; tandis que la clientèle, dépouillée, violée, s’en allait à moitié défaite, avec la volupté assouvie et la sourde honte d’un désir contenté au fond d’un hôtel louche. C’était lui qui les possédait de la sorte, qui les tenait à sa merci, par son entassement continu de marchandises, par sa baisse des prix et ses rendus, sa galanterie et sa réclame. Il avait conquis les mères elles-mêmes, il régnait sur toutes avec la brutalité d’un despote, dont le caprice ruinait des ménages. »
Zola fait un excellent travail en peignant une image d’un grand magasin moderne. Chaque chapitre a pour thème la capture de différents aspects du magasin ou de la vie des employés. Il savait comment ces nouveaux grands magasins, symboles de modernité fonctionnaient, du plus petit secteur jusqu’à la direction, il savait à quoi ressemblait la vie de leurs employés. Le bonheur des dames n’est pas seulement un décor dans ce roman, c’est le personnage principal, une force imparable, rendu avec une attention presque microscopique aux détails. Une excellente étude de la poursuite incessante de la suprématie commerciale.
« Au bonheur des dames » d’Émile Zola – Éditions Gallimard – collection Folio classique.